mardi 20 janvier 2015

   b) Le problème de la maladie d'Alzheimer en France
         Découverte en 1906 par Aloïs Alzheimer, la maladie d’Alzheimer est une affection du cerveau dite « neurodégénérative », c’est-à-dire qu’elle entraîne une disparition progressive des neurones. Ces neurones, qui servent à programmer un certain nombre d’actions, en disparaissant, entraînent une altération des facultés cognitives : mémoire, langage, raisonnement… L’extension des lésions cérébrales cause d’autres troubles qui réduisent progressivement l’autonomie de la personne. La maladie d’Alzheimer apparaît plus souvent chez les personnes âgées, mais elle n’est pas une conséquence normale du vieillissement.

      1. Histoire
      En 1906, Aloïs Alzheimer (1864-1915) a observé au microscope le cerveau d’une femme de 51 ans qui avait présenté un délire de jalousie et une désintégration des foncions intellectuelles. Le neuropsychiatre décrit des anomalies dans le cerveau de cette patiente : une plaque sénile et une dégénérescence neurofibrillaire. Ces lésions servent encore à définir la maladie dite d’Alzheimer. La maladie est spécifiquement humaine, sans modèle animal pour l’expérimenter.
Cette maladie a longtemps été niée mais tout a changé grâce à la découverte d’Aloïs Alzheimer. Mais cela ne sera compris et exploité que près d’un siècle plus tard. Il aura fallu attendre les progrès de la neuropathologie, de la biologie moléculaire et de la génétique pour préciser la découverte d’Alzheimer et bénéficier des premiers traitements.

      2. Facteurs de risque
         - L’âge : C’est le plus important des facteurs de risque de la maladie d’Alzheimer. Toutes les études montrent une augmentation du nombre de nouveaux cas de la maladie avec l’avancée de l’âge : 1.2 cas pour 1000 personnes et par an pour les 65-69 ans, et 53.5 à partir de 90 ans. La maladie d’Alzheimer est liée à l’âge mais n’est pas due à l’âge (il y a des cas rares chez les jeunes).
         - Les facteurs génétiques : Dans certaines familles, la maladie est due à la mutation d’un gène qui se transmet : c'est un facteur héréditaire. Elle peut être située sur les chromosomes 14, 21 ou 1. La maladie se déclare alors toujours avant 60 ans. En dehors de ces rares cas (1% environ), un seul facteur de risque a été trouvé : l’apolipoprotéine E, son dysfonctionnement peut entraîner une démence chez le patient. Il ne s’agit que d’un simple facteur de risque pas d’une cause (voir partie II b.) Un autre facteur de risque est le fait d’avoir un ou deux parents atteints par la maladie. Cela ne veut pas dire que la maladie est héréditaire, mais l’individu possède alors des gènes de prédisposition.
         - Facteurs de risque d’origine vasculaire : l’hypertension artérielle (le traitement a un possible effet protecteur) et la démence vasculaire
     - Les sources de stress et d’épuisement, douloureux pour l’entourage, les troubles du comportement sont quasiment inévitables, même s’ils ne sont pas spécifiques à la maladie. Le rôle des traumatismes psychologiques a été évoqué, en particulier celui des stress importants et prolongés. Parfois, la maladie apparaît à la suite d’un deuil. Il s’agit de la déstabilisation d’une affection jusque-là masquée.

      3. Diagnostic
         Le diagnostic est l’étape indispensable pour trouver des solutions. La maladie d’Alzheimer est un trouble de la mémoire associé à un autre trouble cognitif retentissant sur la vie sociale, d’évolution progressive. Le trouble de la mémoire de la maladie d’Alzheimer n’est pas celui que tout le monde subit en vieillissant (à savoir l’oubli des événements anciens et récents, des noms propres…) : l’entourage n’en prend conscience que parce que la malade se plaint de ses oublis de plus en plus fréquents, mais aussi grâce au diagnostic. L’analyse est précisée par des tests neuropsychologiques.
         Le Mini Mental State (MMS) est le plus connu des outils de dépistage. Il comprend des questions sur l’orientation dans le temps et dans l’espace, des épreuves de calculs, de mémoire et de langage ainsi qu’un dessin à recopier. Ce test permet de suivre l’évolution en trois stades : léger, modéré ou sévère. Une prise de sang et un scanner cérébral permettent d’éliminer une autre cause et de repérer des facteurs aggravants. De récents progrès de l’imagerie par IRM pourraient se révéler intéressants pour le diagnostic et le suivi. Ce retard est très regrettable car les traitements spécifiques sont d’autant plus intéressants que le diagnostic est précoce.
         L’annonce de la maladie d’Alzheimer ne peut être que traumatisante. Difficile à entendre par le malade et très dure pour la famille et les réactions de défense sont habituelles. Doute et refus alternent avec colère et ressentiment, ou tristesse et culpabilité. L’annonce est pourtant inévitable : la maladie suppose un accompagnement fondé sur la confiance, non sur le mensonge ou le non-dit. Considérer la personne ayant l’Alzheimer comme ne pouvant rien comprendre, l’enfonce dans la maladie. Un diagnostic est une découverte, une prise de conscience, qui se construit dans le temps, et c’est peut-être ce qui manque le plus.

      4. L’évolution de la maladie
         La maladie d’Alzheimer est d’évolution lente et progressive, sur de nombreuses années, émaillée de complications, c’est pour cela qu’elle est dite neurodégénérative. Mais il est possible d’agir pour ralentir sa progression.
         Les premiers stades passent généralement inaperçus : au début, stade des lésions cérébrales sans symptômes cliniques, puis des troubles isolés de la mémoire. En France, le diagnostic n’est fait en moyenne que deux ans après les premiers signes significatifs. Les troubles cognitifs apparaissent progressivement en rendant la personne dépendante à des aides extérieures. Au stade sévère, elle n’a plus la capacité d’effectuer des actes essentiels de la vie courante. Les troubles du comportement sont variables selon les personnes, les périodes et les circonstances. La communication devient de plus en plus difficile. La personne Alzheimer semble se retirer dans un monde où nous n’avons accès que de manière très fugace et incertaine.
         Toute aggravation doit donc faire rechercher une complication ou une affection associée (infection, erreur médicamenteuse, agression psychologique). Dépression et anxiété sont fréquentes et sont sources des troubles du comportement. Les troubles cardiaques, ralentissent la circulation cérébrale, et les performances intellectuelles. Les chutes font craindre la perte de la marche et à terme l’alitement, avec ses propres complications redoutables. Le stade terminal est souvent marqué par des fausses routes qui aggravent la dénutrition et provoquent des infections respiratoire.
De plus, une carence en acétylcholine est observée.

      5. Description de cette pathologie
         Les troubles de la mémoire sont toujours présents et souvent inauguraux. Apparaissant de manière très progressive, ils finissent par retentir fortement sur la vie quotidienne, ce qui alerte l’entourage. Ils touchent le proche passé : difficultés pour enregistrer de nouvelles informations, oubli des événements vécus et des réponses aux questions répétées, de l’emplacement des objets usuels, des actions à entreprendre… A un stade plus avancé s’associe une désorientation dans le temps et l’espace. L’atteinte de la mémoire ne signifie pas disparition des souvenirs, en particulier des plus anciens de la vie personnelle, mais ils ne sont plus contrôlables par la volonté. Le langage est rapidement atteint : le mot devient vague, avec des termes imprécis, déformés, plus en mots, le discours spontané devient rare. Les écrits évoluent en parallèle. Les fonctions exécutives sont les opérations mentales qui favorisent d’adaptation aux situations nouvelles. Leur atteinte, fréquente se traduit par des troubles du raisonnement.
      La maladie d’Alzheimer se caractérise par une atteinte progressive des fonctions cognitives qui retentissent sur la vie quotidienne et aboutissent à la dépendance.

      6. Traitement
         L’objectif est l’amélioration du bien-être de la personne malade et la réduction du fardeau de l’aide. Les moyens sont multiples :
- Les médicaments spécifiques comme les anticholinestérasiques sont donnés dans l’espoir de ralentir l’évolution de la maladie. Mais ils améliorent la transmission de l’influx nerveux dans le système qui a l’acétylcholine comme neuromédiateur. Leur action est symptomatique, modeste sans doute, mais précieuse. Ils ont prouvé leur efficacité sur les déficits cognitifs et des troubles du comportement comme l’agitation, l’agressivité et le ralentissement intellectuel. De plus la mémantine est une molécule qui a prouvé son efficacité dans les formes modérées à sévères de la maladie. Ses effets sont comparables à ceux des anticholinestérasiques.
- Les médicaments non spécifiques tels que les antidépresseurs, fréquemment prescrits, pourraient avoir un effet bénéfique sur l’humeur. Les sédatifs sont d’utilisation plus délicate, car il n’est pas souhaitable de trop ralentir le fonctionnement cérébral déjà altéré.
- Les traitements non médicamenteux : les techniques de rééducation, d’orthophonie, de kinésithérapie et d’ergothérapie ont leur place. Améliorer les fonctions cognitives, éviter la dépression, calmer la douleur et l’angoisse n’ont pas de sens pour un objectif qui va au-delà de la satisfaction des besoins primordiaux : la qualité de la vie telle que perçue par la personne Alzheimer elle-même.

      7. Patients et famille
         Les moments sublimes sont des épisodes étonnants et troublants : des « flashs de lucidité »
La maladie semble soudain disparaitre. Plus de confusion, ni de trouble du langage ou du comportement, mais la pensée est forte, le mot juste, la présence parfaite. La personne resurgit telle qu’elle a toujours été.
Ils sont aussi connus sous le nom de « flashs de lucidité », retours soudains et fugitifs d’une conscience perdue. L’irruption soudaine de l’être rappelle le poids de la perte et ce qui se dit à ce moment-là est soumis au filtre de la culpabilité. Après le choc vient le doute, le malade n’est pas si malade, il profite de la situation… Le fragment de lucidité disparaît dans la douleur et l’interprétation délirante. Ils ne doivent pas être des accidents mais des instants qui donnent du sens à l’accompagnateur. Les moments sublimes, durant lesquels s’illuminent les yeux des malades d'Alzheimer, justifient tous les efforts des aidants familiaux et soignants qui organisent, soutiennent et encouragent les malades.

      8. Ressenti de la maladie par les malades
         Singularité de la maladie : des troubles des fonctions cognitives. Une personne âgée d'Alzheimer pourra affirmer être en bonne santé et avoir vingt ans alors que tous ceux de son âge se plaignent de rhumatismes et d’autres misères, elle ne souffre pas et se présente comme au plus bel âge de la vie. Pour elle, la maladie n’existe donc pas. Quand une personne atteinte d'Alzheimer se sent en bonne santé, tout se passe comme si sa guérison était réelle. Les processus affectifs et les comportements jouent un grand rôle dans la relation aux autres. « On ne voit bien qu’avec le coeur ». La permanence de l’émotion maintient possible une forme de communication. Par exemple avec les animaux, les chats et les chiens, en particulier, qui peuvent servir de support thérapeutique. La relation que les personnes atteintes d'Alzheimer ont avec les tout-petits est spectaculaire. Le rire est étonnamment préservé, peut-être parce qu’il est connivent par-delà les mots, partage d’une émotion entre personnes qui se reconnaissent. De plus la communication reste très longtemps possible malgré les troubles cognitifs. Elle nécessite un apprentissage dont les résultats sont parfois spectaculaires.
         La communication est vitale pour un être humain.

     9. Statistiques
         Le poids économique et démographique de la maladie d’Alzheimer justifie son qualificatif de « fléau du XXIe siècle ». L’alternative est de le subir ou d’investir dans la recherche.
La maladie de type Alzheimer se retrouve surtout chez les plus de 75 ans (85%). Selon l’étude menée, depuis 1988, en Gironde et en Dordogne, 7.7 et 5.7% de la population des 75-79 ans (respectivement pour les hommes et les femmes) sont Alzheimer, 12.5 et 16.6% des 80-84 ans, 23.9 et 38.4% à partir de 85 ans. La maladie est rare avant 60 ans : entre 0.1 et 0.2% selon le groupe Eurodem (réunissant les résultats de plusieurs études en Europe). En 2004, le nombre de personnes atteintes en France métropolitaine est estimé à 860 000. Puisqu’il s’agit aussi d’une maladie de la famille, on peut considérer que c’est 3 millions de Français qui sont directement concernés. Le nombre de nouveaux cas par an est évalué à 25 000. Dans les années à venir, le nombre de cas augmentera par simple effet de vieillissement de la population. En 2050, les plus de 60 ans seront deux fois plus nombreux, les plus de 75 ans trois fois et le plus de 85 ans quatre fois. Les projections donnent entre 1.1 et 1.4 million de malades en 2020, et entre 1.9 et 2.4 millions en 2040, en l’absence de progrès thérapeutique significatif.
        De plus le total des dépenses annuelles consacrées en France à la maladie d’Alzheimer est estimé à 9.9 milliards d’euros. Les projections font envisager 19 milliards pour 2020. Par personne, le coût moyen au domicile est de 17 500 euros et en institution de 27 000, avec 25% pour le forfait soins, 18% pour le forfait dépendance et 54% pour l’hébergement. La somme annuelle à la charge de la famille est importante : 4 000 euros au domicile, le double en institution. En 2003, les dépenses médicales ont été de 70 milliard d’euros pour le cancer, contre 0.9 pour la maladie d’Alzheimer. Les coûts individuels de la maladie d’Alzheimer varient selon les pays. Exprimés en milliers de dollars, ils sont de 19.5 en Espagne, 23.5 en France, 34.4 en Suède et 44.3 aux Etats-Unis.



         Une maladie de la personne qui trouble ses rapports au monde et aux autres, une maladie de la famille, parfois mortelle par épuisement, souvent vécue dans la honte, une maladie de la société qui, par l’organisation déficiente de son système sanitaire et social, n’a pas pris ses responsabilités un siècle après la description de l’affection, une maladie de la communication, ce qui veut dire que tout ce qui améliorera les échanges sera thérapeutique. La maladie ne touche qu’un animal : l’homme. Ce dernier parait dément, c’est-à-dire sans réalité pensante. Il est incapable de se défendre, sans souci des apparences (ni de la sienne ni de celle des autres) et des convenances, sans rôle. Etranger hors du temps, dans un au-delà vivant et mort à la fois. 

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